Politique matriarcale
Traduction Camille Chaplain
Les matriarcats ne sont pas simplement une version inverse du patriarcat, où les femmes dominent les hommes – comme le voudrait l’interprétation erronée généralement admise. Les matriarcats sont des sociétés centrées sur la mère, elles sont fondées sur des valeurs maternelles : nutrition généreuse, sollicitude, maternage, soutien mutuel, paix fondée sur la négociation, etc., qui concernent tout le monde : les mères et celles qui ne le sont pas, les femmes et tout autant les hommes. Les sociétés matriarcales sont sciemment édifiées sur les valeurs et l’activité maternelles, et c’est pourquoi elles sont beaucoup plus ancrées dans la réalité que les patriarcats. Par principe, elles ont pour objectif la satisfaction des besoins, non le pouvoir. Leurs préceptes tendent à conjuguer les besoins de chacun avec le plus grand bénéfice. Aussi, dans les sociétés matriarcales, la maternité – qui a pour origine une réalité biologique – est transformée en un modèle culturel.
Tel est l’objet des Recherches matriarcales modernes, qui étudient et présentent les sociétés matriarcales ayant existé par le passé et existant encore aujourd’hui partout dans le monde. Contrairement à l’opinion généralement répandue, aucune de ces sociétés n’est une simple inversion du patriarcat. Elles sont toutes, au contraire, des sociétés égalitaires entre les sexes, et la plupart d’entre elles sont pleinement égalitaires. C’est-à-dire qu’elles n’ont ni rapports de hiérarchie, ni classes, ni domination d’un sexe sur l’autre. Pour les cultures matriarcales, l’égalité va bien au-delà d’un simple nivellement des différences. Les différences naturelles entre les sexes et les générations sont respectées et honorées, mais elles ne sont jamais utilisées pour instaurer des rapports de hiérarchie, comme c’est couramment le cas dans le patriarcat. Chaque sexe et chaque génération a sa propre dignité, et, grâce à des domaines d’activité complémentaires, œuvrent de concert les uns avec les autres. On peut l’observer à tous les niveaux de la société : au niveau social, au niveau économique, au niveau politique et en ce concerne leurs conceptions du monde et leurs croyances.
Il devient de plus en plus évident que ce modèle culturel radicalement différent propre au matriarcat sera d’une grande importance pour l’avenir des femmes et des mères, ainsi que de l’humanité en général. Je souhaiterais donc faire quelques propositions concernant les nouvelles sociétés égalitaires centrées sur la mère afin d’expliquer à quoi pourraient ressembler de nouvelles sociétés matriarcales. Nous ne pouvons bien sûr pas imiter les sociétés matriarcales traditionnelles, mais elles peuvent grandement nous stimuler et nous éclairer, elles qui – contrairement aux utopies abstraites – ont vécu des millénaires durant. Pour toutes celles et tous ceux qui cherchent à mettre en œuvre de nouvelles formes matriarcales, mes propositions peuvent servir de point de départ. Nous avons besoin d’une vision précise qui puisse nous guider précisément afin de rendre nos actions ultérieures durables et puissantes.
Au niveau social, le modèle du matriarcat signifie échapper à la fragmentation croissante de la société, qui entraîne les êtres humains dans un état de séparation et d’isolement et les rend malades et destructeurs. Plus encore, il signifie développer des structures qui encouragent divers types de communautés d’affinité, ou délibérément constituées, telles que les communes, les alliances de communautés de voisinage et les réseaux. Les communautés par affinité, toutefois, ne sont pas créées à partir de simples communautés d’intérêt – entités qui se rassemblent rapidement et se désagrègent tout aussi rapidement. Au contraire, les communautés par affinité émergent d’un terreau spirituel et intellectuel commun, grâce auquel un clan symbolique se développe, aboutissant à former un groupe qui est plus profondément lié qu’une simple communauté d’intérêt.
Le principe matriarcal ici est que de tels groupes par affinité sont généralement créés, soutenus et conduits par des femmes. Les critères déterminants sont les besoins des femmes et des enfants, qui sont l’avenir de l’humanité, en lieu et place des aspirations des hommes au pouvoir et à la virilité. Dans les nouveaux clans matriarcaux les hommes seront complètement intégrés, mais selon un système de valeurs différent, c’est-à-dire un système fondé sur la sollicitude réciproque et sur l’amour et non sur le pouvoir.
Au niveau économique, accroître toujours plus l’industrie à grande échelle, l’expansion militaire et le prétendu « niveau de vie » ne sera pas possible, compte tenu du danger de destruction totale de la biosphère, de la vie sur terre. C’est ici qu’émerge la perspective d’une autre économie de subsistance, locale et régionale, car la perspective de la subsistance signifie indépendance économique des personnes. Les organismes de subsistance s’engagent dans des pratiques autosuffisantes et indépendantes où la qualité de vie l’emporte sur la quantité.
Cela ne signifie pas seulement pratiquer l’horticulture et l’agriculture locales, mais promouvoir les échanges, le commerce, la technologie et les arts à l’échelon régional. Même la production d’une technologie de pointe est possible à l’échelon régional, à condition de mettre fin au monopole des entreprises multinationales. Ces multinationales essaient de rendre les peuples du monde entier dépendants non seulement de leurs technologies, mais quant à ce qui est le fondement même de la vie, c’est-à-dire l’eau et la nourriture. Il faut y mettre un terme, définitivement !
La régionalisation de l’agriculture, du commerce, etc., au bénéfice des femmes et de leurs familles ou clans est un principe matriarcal, parce les femmes sont le fondement même de la vie humaine sur terre.
Au niveau de la prise de décision politique, le principe matriarcal du consensus est fondamental pour une société véritablement égalitaire. Il peut être mis en place ici et maintenant, immédiatement et partout. C’est une source d’inspiration pour créer toute communauté matriarcale. Il instaure un équilibre entre les femmes et les hommes, ainsi qu’entre les générations, puisque les personnes âgées aussi bien que les jeunes ont leur mot à dire. En outre, c’est vraiment la base de la démocratie, puisqu’il donne à voir ce que les démocraties formelles promettent mais sont incapables de faire.
Selon ce principe, ce sont les petites unités des nouveaux clans matriarcaux qui prennent réellement les décisions. Tous les mouvements alternatifs mentionnés précédemment essaient plus ou moins d’appliquer ce principe, et ils ont acquis une grande expérience dans ce domaine. Mettre en œuvre le principe du consensus à l’avenir veut dire développer un système de conseils, plus petits et plus grands, qui sont tous interdépendants pour prendre des décisions tant au niveau communal que local et régional. Le principe du consensus ne peut s’appliquer au-delà de la région, mais, dans cette vision, que les régions soient indépendantes et florissantes demeure l’objectif politique.
Au niveau spirituel et culturel, il est impératif que toutes les religions hiérarchiques qui croient en des divinités transcendantes et prétendent à la vérité absolue – qui ont profondément déprécié la terre, l’humanité, et en particulier les femmes – soient rejetées. Nous valorisons, au contraire, une nouvelle sacralisation du monde, en accord avec la conception matriarcale selon laquelle le monde entier, et tout ce qu’il contient, est d’essence divine. Cela conduit à honorer et célébrer la vie et le monde visible librement et de façon créative. Ainsi, la spiritualité matriarcale imprègne la vie quotidienne et en fait intégralement partie.
Voir aussi la brochure MANIFESTE MATRIARCAL, en vente chez l’Académie HAGIA.
akademiehagia@aol.com